Ambre est la fille la plus charmante que vous ayez connue, pour autant que vous aimiez les petites excentriques pleines d’énergie. Amie de tout le monde, elle est particulièrement patiente et ouverte, ce qui fait d'elle une confidente hors pair. Par contre, il faut être prudent quand on lui demande son opinion, car elle est d'une franchise sans gêne qui pourrait en choquer plusieurs. Mieux vaut éviter les questions auxquelles on ne veut pas vraiment de réponse. Vous êtes du genre timide? Aucun problème : elle peut remplir une conversation entière avec les conseils, souvenirs et innombrables histoires de Nene, sa grand-mère adorée. Elle est aussi la seule personne au monde à pouvoir allier zen absolu et hyperactivité prononcée à la perfection. Autant elle peut courir partout, faire le ménage, cuisiner et résoudre une équation mathématique impossible dans la même seconde –ou presque–, autant elle peut méditer avec un air un peu stone sur le visage. Ne vous inquiétez pas, Ambre est très clean. En fait, elle modifie simplement la vitesse de transmission de ses messages nerveux, ce qui lui fait à peu près le même effet que vos petites pilules préférées, mais en vaguement plus lucide et sans massacrer son cerveau. Ces moments de sérénité lui permettent alors de reprendre le focus. Il faut dire qu’elle possède une légère tendance à faire un milliard de trucs à la fois et, par conséquent, à négliger ses fonctions vitales de base. Alors ne vous inquiétez surtout pas si elle s’effondre en plein milieu d’une phrase; c’est simplement parce qu’elle a oublié de respirer. Elle s’améliore sans cesse, mais continue à avoir quelques ratés. Que voulez-vous, elle est humaine. Enfin, superpouvoirs mis à part.

Laissez-moi tout d’abord spécifier que notre petite tête en l'air préférée ici présente a un contrôle total sur toutes ses hormones. Dites donc adieu aux boutons, à la transpiration excessive et aux cheveux gras et faites place pour des formes bien féminines. Il se pourrait aussi qu’elle ait pu donner un léger coup de pouce à sa croissance pour obtenir de belles grandes jambes de gazelle. Essayez un peu de me faire croire que vous n’en profiteriez pas à sa place.

Par contre, tout le crédit de sa beauté ne revient pas uniquement à son pouvoir particulier, car mademoiselle Delisle n’est pas dépourvue de bons gènes. Des traits fins, de grands yeux dorés qui lui ont valu son nom, une peau claire, des lèvres bien roses et une chevelure d’un brun-roux qui rappelle le dessus d’une bonne crème brulée. Ça vous fait plaisir si je vous dis que ladite tignasse est impossible à coiffer, que son sourire –bien que mignon comme tout– n'est pas parfait faute d'orthodontistes nomades et que sa peau rougit au moindre rayon de soleil? Je sais je sais, moi aussi je l’emmerde, ne vous inquiétez pas.

Complétez le tableau avec un style des plus variés. On passe sans problème de la jupe longue en coton au short en denim et de la itsy-bitsy-teeny-weeny robe moulante au traditionnel t-shirt. Toutefois, la tenue dans laquelle vous risquez le plus souvent de surprendre Ambre demeure le jean mince avec une quelconque camisole et une chemise à la bucheronne. Le tout est généralement rehaussé d’un accessoire qui semble totalement hors de sa place comme, dans ce cas-ci, un talon haut à couper le souffle. Certains prétendent même l’avoir aperçue portant un collier hawaïen. On ne fait pas de commentaire.

Il était une fois, dans une petite banlieue sans grande importance, un couple bien ordinaire qui vivait paisiblement avec leur fille unique. Comme toute bonne enfant de sept ans, Ambre aspirait à quelque chose de plus. Elle rêvait sans cesse à un prince charmant qui l’emmènerait galoper sur les plaines d’un pays éloigné ou un vampire ténébreux lui offrant une vie pleine de rebondissements. Une orange parlante aurait pu se matérialiser dans sa chambre pour lui assigner une mission dans un monde peuplé de nains dansants et de crabes qu’elle aurait été heureuse. "N’importe quoi pour me sortir de cette foutue routine", chuchotait-elle avant de s’endormir à quiconque pourrait l’entendre de sa petite chambre à coucher. "Je vous en prie…"

Et puis il y eut ce fameux matin d’hiver où elle se sentit toute chose et put rester à la maison. Elle n’aurait pas eu ce petit sourire satisfait si elle avait su ce qui l’attendait. Au tout début, elle ne souffrait que d’une légère fièvre, qui se changea en hypothermie dès qu’Ambre réalisa qu’elle mourrait de chaleur. Et de retour à la fièvre quand le froid l’incommodait. Sa respiration était irrégulière, elle vomissait tout ce qu’elle ingérait et n’était plus capable de marcher. Vers midi, Maman Delisle l’accompagna aux urgences, ne reconnaissant pas le mal qui accablait son petit ange. Malheureusement, avant même qu’elle n’ait pu rencontrer un médecin, le cœur d’Ambre cessa de battre.


Ça fait tellement mal… Et tout juste comme cette pensée traversait son esprit, un baume apaisant se répandit sur son corps. Elle murmura un faible "Merci" et ouvrit les yeux…pour se retrouver complètement nue avec une étrange cicatrice rosée en forme de Y s’étendant de ses clavicules à son nombril, sous un drap blanc, dans une salle vide qui empestait la mort et les produits chimiques. Désorientée et priant son petit cœur de tenir le coup, elle s’enroula dans le drap et entreprit de s’échapper de l’étrange salle. Il lui fallut plusieurs tentatives avant de pouvoir mettre un pied devant l’autre, mais réussit tout de même avec peine et misère à sortir de l’édifice. Sur le chemin de la maison, elle était tellement obnubilée par l’absence de sa mère qu’elle ne se questionna même pas sur le fait qu’elle était parfaitement confortable alors qu’elle était à moitié nue dehors en plein hiver, ni même sur la vapeur qu’elle sentait monter sur ses mollets à chaque nouveau pas.

Sur le coup, elle ne comprit pas l’expression d’horreur qu’arboraient ses parents lorsqu’ils virent que leur fille, qui avait été déclarée morte quelques heures plus tôt, franchissait le cadre de la porte d’entrée comme si c’était tout à fait normal pour une enfant de sept ans de déambuler dans les rues enneigées de la ville à la tombée de la nuit. Ce qui suivit, Ambre ne s’en souvient pas exactement, mais elle est capable d’évoquer assez de courts flashs pour reconstituer approximativement la scène. Maman Delisle qui dit qu’elle l’a vue mourir dans ses bras. Papa Delisle qui s’approche avec un couteau. Papa Delisle qui suffoque et s’effondre au plancher. Maman Delisle hurlant que son ange s’est transformé en démon, le visage strié de larmes... Et un long voyage dans l’auto de Papi avec grand-mommy Nene qui tient la jeune Ambre de sept ans dans ses bras sur le siège arrière tout en lui chantant une berceuse.

Cette année-là, Papi, Nene et Ambre voyagèrent sans cesse, mais Nene ne voulut jamais expliquer à Ambre la raison de leur fuite. Par la suite, ils s’établissaient le temps que la fillette fasse son année scolaire et disparaissaient dès le début des vacances, appréciant tout particulièrement les villages presqu’inhabités dans les montagnes de l’Asie centrale et les villes surpeuplées de l’Inde. Ils y découvrirent la méditation, un remède miracle pour les moments où Ambre semblait dépassée par ses nouvelles "aptitudes".

Finalement, il n’y a pas trop longtemps, Ambre se réveilla à Nakunaru. Sans Nene, sans Papi et sans les montagnes. C’est de ça que Nene voulait me protéger, pensa-t-elle à peine après avoir ouvert les yeux dans sa nouvelle chambre. Elle chercha ensuite à s'enfuir et retrouver Papi et Nene, mais se fit éventuellement à l’idée qu’elle ne les reverrait jamais. L’académie n’était pas si mal en fait. C’est un peu petit et tout le monde est légèrement désaxé –comme si Ambre allait avoir de la difficulté à s’intégrer là-dedans–, mais c’est pas mal. Pas mal du tout.